Siegfrieds gescheiterte Revolution
Rudolf Nurejews „Schwanensee“ in der Opéra Bastille
Hugo Marchand est l’un des jeunes danseurs les plus brillants du Ballet de l’Opéra de Paris. Après un début remarquable dans le rôle du prince dans « Casse-noisette » de Rudolf Noureev en décembre 2014 le demi-soliste de 21 ans vient d’aborder pour la première fois le rôle de Des Grieux dans « L’Histoire de Manon » de Kenneth MacMillan aux côtés de la Danseuse Étoile Dorothée Gilbert. C’est suite à son interprétation insolite et saisissante de ce rôle que nous l’avons rencontré pour parler des ballets narratifs qu’il adore, du défi de la technique, du rapport avec les partenaires et le public, de ses projets d’avenir et des changements apportés par le nouveau directeur de la danse de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied.
JB : Vous venez de danser au gala des lauréats du Prix Benois à Moscou avec Dorothée Gilbert, entouré uniquement de Danseurs Étoiles très confirmés : Ouliana Lopatkina, Evgénia Obraztsova, Alexandre Riabko, Silvia Azzoni... Comment avez-vous vécu cette expérience ?
HM : J’étais impressionné parce que je n’avais pas l’habitude de croiser des danseurs aussi internationalement connus. Mais ils étaient très agréables et j’étais content de voir que ces stars étaient simples dans leur rapport avec les gens. Le gala s’est bien passé. Dorothée et moi, nous avions répété pendant deux mois pour « Manon », et nous commençons à nous connaître un peu. Par conséquent, les pas de deux étaient beaucoup plus faciles.
JB : Vous êtes rentré à l’Opéra de Paris en 2011. Trois ans plus tard, vous êtes monté « coryphée » et avez gagné la médaille de bronze au Concours international de ballet de Varna. Comment décririez-vous vos premières années dans la compagnie ?
HM : Les trois premières années, je ne faisais pas grand-chose, j’étais remplaçant du corps de ballet. Je travaillais dans mon coin, mais personne ne faisait attention et je commençais un peu à déprimer. J’avais envie de faire mes preuves, j’avais envie qu’on m’utilise en tant que danseur. Tous les matins je prenais mon cours, mais au bout d’un moment je ne savais plus pourquoi je travaillais autant parce que l’après-midi en répétition j’étais assis par terre. Varna était la carotte que je me suis mise sous le nez pour me motiver à travailler et à faire des progrès. Et en effet, ce projet m’a donné énormément d’énergie. Il m’a fait beaucoup avancer parce qu’il fallait préparer huit variations, six classiques et deux contemporaines. Le concours lui-même était une expérience incroyable.
JB : Aimez-vous les concours ?
HM : Pas du tout. Mais je savais que c’était un tremplin pour être vu à l’international et pour être reconnu aussi à l’Opéra.
JB : Votre succès à Varna a-t-il fait une différence pour la suite de votre carrière à l’Opéra ?
HM : Je ne sais pas. Mais au début de cette saison, on m’a tout de suite fait confiance en me faisant danser « Études ». J’ai aussi dansé mon premier rôle de soliste à l’Opéra dans « Pas./parts » de William Forsythe. Je ne sais pas si c’est dû à l’arrivée de Benjamin Millepied , à Varna ou au concours de promotion de l’Opéra de Paris où je suis monté coryphée – je pense que plusieurs facteurs ont joué un rôle.
JB : Quels changements Benjamin Millepied a-t-il apportés jusqu’à présent ?
HM : Je pense qu’il apporte un très bel élan et cela fait du bien. Ce qu’il a fait depuis qu’il est arrivé est extraordinaire. Il a fait changer tous les sols dans les salles de répétition, il y a des massages maintenant, et il y aura bientôt des cours de gyrotonic et des cours de renforcement musculaire. Tout cela est primordial pour éviter les blessures. Il est souvent dans le studio et c’est un excellent partenaire ; grâce à lui, je me suis rendu compte de l’importance du partenariat. Je viens de rentrer du Bolchoï et j’ai vu que les garçons sont extraordinaires au niveau du partenariat là-bas ; ils ont de très bons cours d’adage. C’est Benjamin Millepied qui m’a fait réaliser qu’on ne peut pas être un très bon danseur sans être un bon partenaire. Et quand il crée un ballet, les pas de deux sont très difficiles.
JB : Benjamin Millepied a justement créé un pas de deux pour vous et la Danseuse Étoile Marie-Agnès Gillot cette année. Comment cela s’est-il passé ?
HM : C’était pour un gala au Mariinsky. Au début, c’était un peu difficile à gérer pour moi. Je ne connaissais pas du tout Marie-Agnès Gillot. C’est une danseuse impressionnante qui a beaucoup d’énergie et énormément de présence. Puisque Marie-Agnès a des bras et des jambes très longs, c’est compliqué de trouver son axe et des contrepoids ; il faut être assez puissant. Sur la scène, j’ai eu un bon contact avec Marie-Agnès ; c’était une belle expérience.
Cette saison, de nombreuses choses sont arrivées en très peu de temps et je pense que j’ai eu beaucoup de chance. Je ne m’attendais pas à avoir une saison aussi riche et aussi variée. Quand j’ai appris que j’allais danser « Manon » j’étais très ému parce que Des Grieux était le rôle de ma vie ; c’était mon rêve de danser ce rôle. J’avais vu des vidéos de « Manon », je l’avais vu à l’Opéra avec Nicolas Le Riche et j’avais adoré ce ballet. Des Grieux est un personnage qui me touche profondément et qui m’a vraiment perturbé.
JB : Comment avez-vous appris que vous danseriez « Manon » ?
HM: Au début quand les grilles de distribution sont sorties, le nom de Des Grieux manquait pour le dernier spectacle de la série de « Manon ». Vers février, Benjamin Millepied m’a dit que j’allais danser le ballet avec Dorothée Gilbert. J’étais très excité. Après je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux mois, et je me suis dit que la distribution avait peut-être changé. Je n’étais pas sûr qu’une Étoile accepterait de danser avec moi parce que je ne suis pas soliste. Dans des ballets d’interprétation comme « Manon », il doit aussi y avoir un rapport très étroit et intense entre les partenaires, puisqu’il s’agit de raconter une histoire crédible. Par conséquent, j’aurais compris que Dorothée refuse de danser un tel ballet avec quelqu’un qu’elle ne connaissait pas du tout. Mais elle a eu l’audace d’accepter.
JB : Comment avez-vous construit votre personnage ?
HM : J’ai commencé par regarder des vidéos sur internet pour bien comprendre la chorégraphie et les difficultés techniques, et j’ai lu le livre plusieurs fois. J’ai essayé de trouver ma propre interprétation du rôle en faisant un mélange entre ce que j’avais compris du personnage et ce que je trouvais en moi. C’était un peu compliqué ; je n’avais jamais travaillé de rôle d’interprétation et il y a toujours un décalage considérable entre ce que nous en tant qu’interprète on a l’impression de faire et ce que les autres voient de nous. On peut avoir l’impression de faire quelque chose, mais le public verra complètement autre chose. Donc il faut trouver un moyen de faire comprendre aux spectateurs ce qu’on ressent, et ce n’était pas évident.
JB : Comment voyez-vous le personnage de Des Grieux ?
HM : Des Grieux est un chevalier de l’ordre de Malte. Il est érudit, il a une certaine spiritualité et il est sage et raisonnable au début du ballet. Je le vois comme un séminariste, assez timide, assez réservé. Quand il voit Manon, il est bouleversé et perd ses repères, comme s’il découvrait la « vraie vie ». Pour moi, la première variation qu’il danse après l’avoir vue est une lutte entre sa timidité et toute l’éducation qu’il a reçue et de la nouvelle passion qui brûle en lui. Il meurt d’envie de lui dire quelque chose et après il se rend compte qu’il ne peut pas ; il a été éduqué d’une certaine manière qui fait qu’il ne peut pas tout se permettre. À la fin de la variation, il a tout lâché, il se met à genoux et lui dit : « je vous aime », et c’est fini. C’est le début de sa perte. Ensuite, on les voit tous les deux dans la chambre de Des Grieux. Le pas de deux qui suit est incroyable, avec une musique merveilleuse. Ils ont fait l’amour, ils ont partagé un moment très intense et Des Grieux écrit une lettre à son père pour lui demander de l’argent. Dès le premier acte, il est déjà presque perverti par Manon puisqu’avant, il n’aurait jamais pensé qu’il pourrait demander de l’argent à ses parents.
JB : Qu’aimez-vous dans des ballets comme « Manon » ?
HM : Leur humanité. Même si l’histoire se passe au XVIIIe siècle, il s’agit de situations de la vie courante et de simples sentiments humains que nous avons ressentis nous-mêmes. Dans des ballets comme « Casse-noisette », « La Belle au bois dormant » ou « Le Lac des cygnes », en revanche, l’histoire est racontée par la pantomime. Dans « Casse-noisette », le prince reste prince, il n’est pas du tout humain, en plus il n’est qu’un rêve dans la version de Noureev.
JB : Dans ces ballets que vous venez d’évoquer, la technique est primordiale, et vous êtes constamment comparé aux Étoiles dans la compagnie et à l’étranger qui ont déjà dansé ces rôles. Cela doit être difficile de faire toujours mieux techniquement ou de se différencier parce que l’interprétation est moins importante. Comment abordez-vous ce défi ?
HM : D’abord je crois qu’il ne faut pas penser à tous les danseurs qui ont interprété ces ballets. Quand je vois Mathieu Ganio danser « Casse-noisette » et je le danse après, je sais que ce sera moins pur techniquement. Ce qui m’intéresse dans ces ballets, c’est de trouver ma propre manière d’aborder le mouvement. Même si on n’a pas de personnage psychologiquement complexe à interpréter, on peut être unique dans sa technique et danser d’une manière qui est propre à nous-mêmes. Je pense que c’est plus important que de compter les pirouettes. On n’essaie pas de faire mieux que Barychnikov, mais on s’efforce d’être unique à notre manière.
Dans « Manon », je me suis rendu compte que la technique était un très bon moyen d’expression et qu’il faut qu’elle soit la plus forte possible. Si elle n’est pas totalement contrôlée, elle risque de lâcher pendant les moments de forte émotion. Cela m’est arrivé quand j’ai dansé la deuxième variation du deuxième acte de « Manon », celle qui suit l’instant où Manon se détourne de Des Grieux qui s’est jeté à ses pieds. Cette variation commence avec des pirouettes très difficiles, et c’est un moment très bouleversant. J’avais les larmes aux yeux, je me sentais vraiment mal et l’émotion m’a un peu fait perdre mes moyens techniques.
JB : Le deuxième acte de « Manon » ne paraît pas seulement difficile au niveau de la danse, mais aussi du jeu parce qu’il y a de longs passages où Des Grieux ne danse pas, passages que certains interprètes ont du mal à remplir…
HM : C’est vrai que ce n’est pas évident parce que pendant tout le début du deuxième acte, Des Grieux est sur le côté. Il ne fait rien et il doit essayer de remplir son personnage. Je ne sais pas si j’ai réussi à le faire, mais je me suis mis dans un tel état émotionnel à ce moment-là que je me sentais vraiment mal. Je me suis complètement mis dans la peau de mon personnage et quand je voyais ma Manon dans les bras d’un autre, cela me rendait fou et j’étais très malheureux.
Je crois que dans ce genre de ballets, selon la toute petite expérience que j’en ai, il ne faut pas essayer de jouer, mais qu’il faut être le personnage pendant toute la durée du ballet, et qu’il ne faut pas le quitter même quand on est en coulisse. On ne peut pas jouer une émotion, mais on doit se mettre en situation pour la provoquer en nous, la ressentir, se laisser envahir par elle et la faire sortir.
JB : Quel rôle joue le rapport avec la partenaire dans cela ?
HM : Le rapport avec la partenaire constitue 90 % du travail. Pour danser « Manon », il faut connaître sa partenaire et avoir une certaine relation avec elle. C’est très difficile de danser « Manon » avec quelqu’un qu’on ne connaît pas ; on doit être sur la même longueur d’onde. Puisque je me suis très bien entendu avec Dorothée Gilbert dans la vie, la moitié du travail était déjà fait. Dorothée est une très belle technicienne, ce qui a facilité le travail physique et mécanique du partenariat. En ce qui concerne le jeu, j’étais touché d’échanger avec elle et de vivre cette histoire ensemble avec elle.
JB : Quels autres rôles aimeriez-vous danser ?
HM : J’aimerais beaucoup danser Roméo dans « Roméo et Juliette ». La version de Noureev est très exigeante techniquement, mais si j’ai l’occasion de danser ce ballet l’année prochaine j’essaierai néanmoins de raconter une histoire. Un autre rôle que je rêve d’interpréter est Onéguine. Pendant un long moment, je m’imaginais plutôt faire Lenski parce que c’est un rôle de jeune premier qui demande une bonne technique, mais finalement Onéguine m’intéresserait plus parce qu’il est très complexe et je voudrais trouver ma propre interprétation de ce personnage. Quand on a la possibilité de danser un rôle si puissant, il faut essayer de s’en nourrir et de se l’approprier totalement.
J’aime aussi danser des ballets un peu compliqués techniquement, par exemple « Thème et Variations ». J’ai adoré danser « Études » ; c’est un ballet pétillant, plein d’énergie et d’ambiance.
JB : Quel est pour vous le plus grand attrait de votre métier ?
HM : Pour moi le plus grand attrait est de faire voyager les spectateurs quand ils viennent voir le ballet, c’est de les emporter avec nous dans une histoire ou dans une ambiance qui leur change de leur quotidien, de les faire vibrer comme s’ils ressentaient de vraies émotions.
JB : On sent si on emporte les spectateurs ?
HM : Oui. Quand j’ai fait « Manon » au Palais Garnier, même s’il y a des spectateurs qui n’ont pas du tout aimé le spectacle, je savais que j’étais sur la bonne route. Je sentais le public de l’autre côté de la fosse d’orchestre comme s’il y avait des ondes entre nous, je sentais que les spectateurs rentraient dans notre histoire. À l’Opéra Bastille, c’est très différent parce qu’on est tellement loin du public qu’on ne sent rien. C’est angoissant parce que quand on est sur scène on ne sait pas si les spectateurs sont en train de vivre quelque chose avec nous. À Garnier, on sent toujours ce qui se passe, et cela me plaît.
JB : Et la plus grande difficulté ?
HM : La difficulté, c’est de se mettre en condition pour un spectacle quand on ne va pas bien, quand on n’a pas envie de partager, d’aller en scène, de souffrir par la technique. Il faut essayer de gérer tout cela pour que quoi qui se passe à l’extérieur, on soit dans l’honnêteté, dans un don de soi pendant le spectacle.
Après quand on est en scène, c’est une expérience magique, on est transcendé. Le bonheur d’être en scène n’a pas de prix et il vaut tout le travail avant qui est souvent laborieux et dur.
JB : Avez-vous le temps pour d’autres activités à côté de la danse ?
HM : Pas beaucoup, mais cela dépend des périodes. Quand j’ai un peu de temps j’essaie de sortir, voir mes amis, ma famille. Quand je me suis préparé pour « Manon », je ne vivais que pour ça. En rentrant chez moi le soir, j’avais mon rôle et ma partenaire dans la tête, j’essayais de comprendre, j’essayais de m’inspirer de situations du quotidien pour étoffer le personnage. J’y réfléchissais tout le temps et je cherchais devant ma glace les expressions justes pour exprimer ce que je ressentais. C’était passionnant et j’étais très heureux pendant cette période. J’ai dégusté chaque moment.
JB : Avec quels chorégraphes aimeriez-vous travailler ?
HM : Je suis très content parce qu’à la fin de la saison, je danserai « L’Anatomie de la sensation ». J’ai déjà travaillé un petit peu avec Wayne MacGregor l’année dernière et c’était passionnant. Je suis curieux de le revoir et d’approfondir son style. Sinon je voudrais rencontrer tous les chorégraphes qui vont venir à l’Opéra. J’ai envie de danser des styles différents et j’espère que je pourrai répondre aux attentes des chorégraphes s’ils me choisissent.
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